Cette thèse a pour objet la classification - à isotopie près - des fonctions rationnelles réel-étales de .
Une fonction rationnelle réelle est une fraction de deux polynômes à coefficients réels, ou, de manière équivalente, un morphisme de dans lui-même. Une telle fonction est dite réel-étale si elle n'a pas de ramification au-dessus des points réels. Comme nous le verrons plus bas, ces fonctions sont intéressantes à cause de leur lien avec les M-surfaces. Notre étude fait aussi le pendant de l'article [EG02] de A. Eremenko et A. Gabrielov dans lequel ils résolvent une conjecture de B. et M. Shapiro en dimension 1. Pour cela, ils étudient les fonctions rationnelles sur dont tous les points de ramification sont réels.
Si on regardait les fonctions rationnelles réel-étales à homotopie près, on pourrait passer par des fonctions rationnelles ramifiées au-dessus des points réels. Cette classification est trop grossière. C'est pourquoi nous étudions plutôt les fonctions rationnelles réel-étales à isotopie près. Deux fonctions rationnelles réel-étales sont isotopes si l'on peut passer de l'une à l'autre par déformation continue dans l'ensemble des fonctions rationnelles réel-étales de même degré.
Pour définir de façon précise cette notion d'isotopie, une première partie de ma thèse développe la théorie des familles continues de surfaces de Klein. Pour cela, j'utilise le point de vue des espaces localement annelés. Ils permettent entre autre une définition plus naturelle des morphismes de surfaces de Klein que celle de la théorie classique. D'autre part, ils facilitent le travail en famille. Lors de cette étude, je démontre aussi un Théorème d'Existence de Riemann pour ces familles.
Les principaux objets qui interviennent dans la classification sont les arbres signés associés à une fonction rationnelle réel-étale. Topologiquement, un endomorphisme de
est un revêtement ramifié du disque fermé par lui-même. Une fonction rationnelle sur
est réel-étale si et seulement si l'image réciproque
des points réels est la réunion disjointe de cercles topologiques dans
.
Ces cercles sont les arêtes de l'arbre. Les sommets de l'arbre sont les composantes connexes de
. Un sommet s est l'extrémité d'une arête e si le cercle topologique e est inclus dans l'adhérence de s dans
.
De plus, l'arbre est pondéré: à chaque arête e est associé le degré topologique de restreint à e . Une orientation sur
induit une orientation sur ses points réels. On ajoute alors au pied de l'arbre de un signe "+" ou "-" selon que préserve ou inverse respectivement l'orientation sur
. Ceci donne l'arbre signé de .
Réciproquement, on montre que tout arbre signé peut être associé à une fonction rationnelle réel-étale.
Nous pouvons maintenant énoncer le résultat au coeur de ma thèse:
La partie la plus délicate de la démonstration consiste à montrer la réciproque, c'est-à-dire obtenir une isotopie entre deux fonctions rationnelles réel-étales et ayant même arbre signé. Elle repose sur les trois idées suivantes.
Le théorème de classification des fonctions rationnelles réel-étales de
s'applique à l'étude de l'espace de module des M -courbes algébriques réelles de genre g ou, pour rester dans la catégorie des surfaces de Klein, des M -surfaces de genre g . En effet, il se trouve que cet espace plutôt mystérieux est caché dans l'espace des fonctions rationnelles réel-étales de degré 2g+1 .
En effet, soit une fonction rationnelle réel-étale de degré d=2g+1 sur
, dont l'arbre est de la forme
c'est à dire pour lequel tous les côtés ont pour poids 1 et qui a le maximum de sommets rencontrant une seule branche. Un tel arbre est appelé M -arbre et est appelé un M -endomorphisme. On peut associer de façon naturelle à une M -surface de genre g qui, topologiquement, est l'adhérence de la composante connexe de
contenant
.
La M -surface vient avec un morphisme réel-étale
de degré g+1 et le choix particulier d'une composante connexe de son bord qui est
. Ainsi, on peut associer à un M-endomorphisme de
un triplet
Soit
l'ensemble des fonctions rationnelles réel-étales de degré 2g+1 modulo l'action des automorphismes de
par composition à droite. Cet espace admet une structure naturelle de variété analytique réelle. Soit
l'ensemble des classes d'isomorphismes de triplets tels que soit une M -surface de genre g , une fonction rationnelle réel-étale de degré g+1 sur et une composante connexe du bord de . On démontre que
admet une structure naturelle de variété à priori semi-analytique.
Dans le cas particulier des M-surfaces de genre 1, une étude plus concrète montre que si cet isomorphisme est naturel, il n'est pas trivial.
La démonstration du théorème précédent passe par des espaces de Teichmüller de triplets et de M-endomorphismes. Les familles analytiques réelles de surfaces de Klein interviennent aussi de manière essentielle.
Le théorème de classification des fonctions rationnelles réel-étales de
donne une démonstra-tion nouvelle de la connexité de l'espace des modules de M-surfaces de genre g , montrée par M. Seppälä et R. Silhol [SS89]. En effet,
est connexe d'après le théorème de classification des fonctions rationnelles réel-étale de
ci-dessus, et le morphisme oubli
de
sur l'espace des modules de M-surface de genre g est une surjection analytique réelle.